
PREMIERE BECASSE
Cet automne 2018 la migration est tardive. Ce sera sans doute monnaie courante dans les années qui viennent, pour cause de réchauffement climatique. Difficile dans ces conditions de créancer un chien bécassier. La très grande Hawaî n'est plus et son départ prématuré laisse un vide énorme, non seulement pour chasser, mais surtout pour ses qualités de reproductrice. N'est-elle pas la mère de Mutine (la Championne Absolue en Italie), Margot, Jocker, autant de grands Champions de Travail (et Beauté). Ses derniers produits: Norma, Néquar, Nestor nous ont gratifié de superbes actions, mais pas sur bécasse hélas....Ne sachant pas ce que c'est, ils ont pu en oublier.
Ce matin, pour ces raisons, je suis d'humeur un peu morose. Cependant je rends la politesse d'une précédente invitation. M...me fait admirer sa dernière acquisition, un superbe Setter Anglais de 3 ans, issu des meilleures souches bécassières, et préparé en Bretagne. En ce qui me concerne je prends Nestor, 14 mois.
Nous commençons par les taillis parallèles au plan d'eau. Il faut se glisser dans d'étroites allées, pendant que les chiens, tout au plaisir de commencer la journée de chasse " attaquent sec". J'appréhendais que Nestor jalouse et nous gratifie d'une course au clocher, mais non, il explore son propre territoire, se glisse dans les cornouillers sanguins, les viornes lantanes, les pruneliers, et fait preuve d'un bel entrain. Il ne sait pas ce qu'il cherche, mais il le cherche.
Le Setter, lui, a disparu. Son propriétaire sort un GPS et me dit " il doit être à l'arrêt en bordure du bois". Nous partons dans la direction et, effectivement, nous le retrouvons figé. Je siffle un patron impératif à Nestor. Son camarade refuse de couler puis il rompt l'arrêt et reprend sa course folle. Je fais vérifier l'émanation à Nestor qui ne s'intéresse pas, je m'inquiète un peu. M...est optimiste, selon lui c'était une bécasse, partie au bruit.
Logiquement la remise c'est la lande, entrelas de grandes fougères, chênes nains et surtout ajoncs redoutables. Nestor ne se décourage pas. Deux fois nous rallions le Setter qui ne nous montre rien. Il refuse de couler, puis repart brutalement sans vérifier. Elles sont sauvages aujourd'hui s'exclame M...Je ne dis rien mais je n'en pense pas moins maintenant. En effet, j'ai entendu le chant caractéristique d'un troglodyte mignon, mais je me garde bien d'en parler, M... est peut-être susceptible. Possibilité aussi d'un hasard car bécasse et l'oiseau minuscule fréquentent les mêmes tènements. Toujours pas d'occasion pour Nestor, il faudrait pourtant qu'il en voit voler une
La dernière partie de la propriété est composée de grandes prairies bordées de haies et d'un bois étroit qui constituent autant de remises potentielles. A la barrière les chiens partent de chaque côté du vert, le Setter en souplesse et le Bourbonnais tout en puissance ne cède rien, manifestement ils ne tourneront pas avant le bout. Nous admirons le spectacle des deux athlètes tout à l'avidité de la recherche. Tout à coup Nestor change d'allure et se fige comme heurtant un mur de verre. De loin Setter a vu et assure un patron instantané depuis l'autre côté du pré. L'air vient de se charger en émotion et pour profiter pleinement de la scène nous commençons de nous approcher sans presser le pas. Le temps semble s'éterniser, tout à coup, avant d'être à distance de tir, Nestor rompt l'arrêt et ne s'attarde pas , le Setter en fait autant. La possibilité d'un chevreuil le long du bois est évoquée. Environ 30 mètres plus loin les chiens disparaissent derrière un fouillis d'arbres cassés. Ils ne reparaissent pas ils ont du se lancer à la poursuite du quadrupède. Nous continuons dans la direction où ils ont disparu.
Surprise....en arrivant derrière les arbres cassés, nous découvrons Nestor bloqué et le Setter au patron 15 mètres en arrière. Juste le temps de se placer et l'oiseau roux fuse de l' amas de branches, j'ai la chance de le voir basculer sur le sol. Nestor s'en empare et reçoit quantités de félicitations, calé le long de ma jambe il ronronne de plaisir. M... me dit " celui-ci je veux bien l'emmener avec moi, ce sera un crack". C'est bien mon impression. Sur le plan nez et passion il a été impeccable. Sa première rencontre avec l'oiseau des bois a été négociée comme un vieux briscard. SURTOUT il n'a pas dormi sur son arrêt et se rendant compte que la bécasse avait fait un saut de crapaud, il a fait preuve de décision, prenant l'initiative d'aller à nouveau l'assurer. Sans cela, s'attardant au premier arrêt, on peut parier que la bécasse serait repartie. Nous aurions retrouvé une place chaude...Avec son fabuleux ancêtre Louxor, de la même façon, les bécasses piétaient bien moins qu'avec d'autres chiens. Quand il déclenchait son arrêt, l'oiseau tenait.
Nestor est le résultat d'une sélection de plus de 40 ans où les indécis et sensibles de nez n'ont pas eu de place. Cet esprit d'initiative est régulièrement présent maintenant. Pour cela il faut s'en tenir à l'essentiel et ne pas se laisser influencer par la mode (ou coloromanie ) dont le but est généralement de mieux vendre. Le père de Nestor était taché, la belle affaire (pourquoi un BB ne devrait-il plus être taché, c'était courant au départ et le standard ne l'interdit pas, alors?). Le fils est beau dans l'expression de sa passion ( et pas par sa robe), il offre du plaisir: lecture du terrain, muscles saillants sous la peau dénotant une puissance remarquable, prise d'émanation fulgurante on ne trouve pas plus beau pour un chasseur
Sur le chemin du retour M... regarde Nestor avec beaucoup de considération et me pose différentes questions sur lui et la race. A défaut d'en changer il est clair que son opinion sur le Bourbonnais sera désormais positive. Il m'avoue d'ailleurs son regret d'avoir quitté les continentaux. Chasser au GPS lui fait tout drôle. Personnellement, dans le cas de son chien, ce sont surtout les arrêts à vide qui me gênent. En tous les cas il est clair que notre Bourbonnais s'imposera par ses qualités de chasseur et pas par sa robe où son absence de queue.
Jean-Paul Buot