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LES FANTOMES DU TREUIL BONNIN…
 

De petites déjections déposées autour de la mangeoire centrale m’ont interrogé un moment et puis je n’y ai plus attaché d'importance.                                           
 

Un quart d’heure plus tard la chienne a marqué un court arrêt en arrivant aux Brandes. Perplexe, elle a trouvé un peu partout, puis s’est appliquée sur une trace. Celle-ci tournait et retournait, en particulier au plus fort de la lande, il m’était souvent impossible de la suivre. Jamais le plus vicieux des coqs obscurs n’avait ainsi mêlé ses voies… Quand la brume s’est levée sur les bas-fonds nous avons eu un prétexte pour capituler. Y avait-il ce jour-là un gibier fantôme au Treuil Bonnin ?

Aujourd’hui je reviens, bien décidé à éclaircir ce mystère. La sécheresse exceptionnelle de cet hiver ne facilite pas le travail des chiens. Vénus est donc venue épauler Brune sa fille. En grandes foulées cette dernière explore le clair, tandis que la mère, expérimentée, vérifie les gros ronciers. Pendant deux heures rien à signaler. Seules quelques draines ont sillonné l’azur. Si un animal mystérieux était au Treuil Bonnin samedi, plus de trace. Dépités nous faisons demi-tour.

A 100 mètres de la voiture, coup de théâtre, Vénus change d’allure, c’est sérieux mais « pas encore là ». Bien évidemment Brune ne voit pas sa mère et relève une trace pour son propre compte. L’affaire se complique sérieusement. Le centre de la propriété, espèce de marais boisé particulièrement épais n’est quadrillé que de rares allées. J’opte pour une position médiane afin de surveiller, tant bien que mal, le travail des deux chiennes. Heureusement elles ont un grelot. Rapidement j’estime qu’il y a plusieurs bêtes de chasse dont les voies se mêlent et s’entremêlent inlassablement. Aucune direction n’est prévisible et je suis sur les charbons ardents. Impression particulièrement désagréable, la situation est en train de m’échapper. Les nerfs des Bourbonnaises ne vont-ils pas lâcher, si elles bourrent tout est perdu !
Enfin les grelots semblent se rapprocher, puis silence… Courbé sous les pruneliers j’avance difficilement. Au-dessus de ma tête un geai s’envole en lançant un cri d’insulte et je sursaute. Mais Saint Hubert est avec nous. Au bord d’un sentier bécassier j’aperçois Brune, à l’arrêt, à demi couchée dans les roseaux. Dans la même direction, 30 mètres plus loin, sa mère arrête aussi mais perpendiculairement. Si un vieux coq part, à cette distance j’aurai bonne mine avec un premier coup de 9…

Et c’est le feu d’artifice… Des roseaux, des pruneliers, des basses branches d’un frêne têtard des bolides multicolores surgissent en 1/10ème de seconde et disparaissent aspirés par le néant. Eberlué je tire, une fois près et la seconde loin. Des Colins ! J’en ai vu épisodiquement il y a 25 ans, mais jamais en action de chasse. D’où viennent-ils ?

Quelques plumes s’accrochent à un vieux saule, mais rien aux points de chute présumés. Pas de sentiment, je prends Brune en laisse pour que Vénus opère seule dans le calme. Au Field- Trial d'Espeluche elle est allée d’autorité  50 mètres à droite pour chercher une faisane que nous pensions tombée 50 mètres à gauche. Le juge, Mr Dages, a d’ailleurs mentionné le fait dans son compte rendu le soir alors qu'il  venait de lui attribuer le CACT-CACIT. Ici le challenge est à la mesure de la chienne, je ne sais même pas bien où sont tombés mes oiseaux. La Bourbonnaise s’engage sous les pruneliers et dépasse mon repère présumé, j’ai le moral en chute libre. Un long moment s’écoule et elle ressort 20 mètres plus loin avec une femelle dans la gueule. Le second oiseau est un mâle aux bandes blanches caractéristiques sur la tête. Désailé, il ruse longuement et Vénus doit jouer les bulldozers sous les ronces pour s’en emparer. Ce travail de Retriever ne l’empêchera pas d’arrêter « ferme comme un pieu » lors de la prochaine journée de chasse. Notre Bourbonnais joint ainsi, à bien d’autres qualités, celle de particulièrement « tenir le dressage ».
 

Il fait nuit quand nous arrivons à l’allée du Treuil Bonnin. Seul le cri plaintif d’un grand courli trouble le silence. Au marais la compagnie de Colins s’est reformée.
 

Deux mois après ils sont toujours là et j’ai décidé de ne plus les tirer. Les fantasques oiseaux vont-ils, sans crier gare, reprendre leur errance ou faire souche ? Vivement l’été prochain pour le savoir !
P.S. : A cette époque le Colin était classé « gibier ».

 

Jean-Paul  BUOT
 


 

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